Ehren Cory : Vous venez de la communauté la plus au nord du Canada. Quels sont les défis de la vie dans le Nord et comment les infrastructures aident-elles ou comment le manque d’infrastructures nuit-il?
Premier ministre P.J. Akeeagok : Le Nunavut est une région du Canada vaste mais très éloignée. Il représente 20 % de la masse terrestre du pays, mais ne compte qu’environ 38 000 personnes. Il n’est accessible que par voie aérienne ou maritime, car aucune route ne relie les 25 collectivités du Nunavut au reste du Canada. Le déficit d’infrastructures dans le Grand Nord, y compris au Nunavut, est énorme, et c’est pourquoi je ne peux que souligner l’importance de garantir les investissements dans le Nord, car ils profitent en fin de compte au Sud.
L’Internet haut débit est essentiel. J’ai assisté à une réunion d’information sécurisée avec des ministres lorsque notre Internet a été coupé. Cela montre notre vulnérabilité, et il est donc très important que la fibre optique soit disponible sur le territoire. Le territoire est le dernier ressort territorial du pays à ne pas être relié par fibre optique.
C’est un défi direct en termes d’accès et de participation aux services de base. Mais c’est aussi le moyen d’accéder à une éducation et à des services de qualité auxquels nombre de nos collectivités n’ont pas encore accès.
EC : Une partie du mandat de la BIC consiste à favoriser la réconciliation économique, et la BIC pense qu’il s’agit là d’une opportunité incroyable. J’aimerais que vous me disiez à quoi ressemble la réconciliation pour le Nord.
PJA : Les Inuits ont traversé des épreuves incroyables. Ma propre famille a été déplacée dans les années 1950 dans le cadre des efforts déployés par le Canada pour s’approprier l’Extrême-Arctique. Cette histoire fait vraiment mal, elle montre comment les gens voyaient les Inuits à un moment donné de notre passé. C’était il y a seulement une génération. Nous parlons de mon père et de mes grands-parents, avec qui j’ai grandi.
Néanmoins, je pense que le travail que nous avons pu accomplir avec le gouvernement a été incroyable, avec les excuses présentées aux Inuits atteints de tuberculose et relocalisés de force dans le Sud, dont beaucoup sont décédés dans des villes très éloignées de leur domicile, et dont les tombes n’ont parfois même pas été marquées. L’histoire coloniale est donc bien présente. Mais c’est par nos actions que nous surmontons cette histoire.
Je pense que le travail que nous commençons à faire sur des projets d’infrastructures tels que le projet hydroélectrique à Iqaluit est une étape concrète pour corriger les erreurs du passé. Dans le passé, nous avons vu Ottawa penser qu’il était le mieux placé pour connaître notre avenir, alors qu’en fait, c’est nous qui savons ce qui est le mieux pour notre avenir. C’est très important lorsque nous commençons à examiner des projets clés tels que le projet hydroélectrique au Kivalliq, qui est dirigé par les Inuits et qui leur permet de prendre le contrôle des occasions incroyables qui se trouvent dans notre environnement.
Cela me donne beaucoup d’espoir dans le sens où nous avons parcouru un long chemin, qu’il s’agisse des excuses du premier ministre du Canada ou de la signature de l’entente de transfert des responsabilités, qui redonne le pouvoir aux personnes qui auraient dû l’avoir depuis le début.
EC : Pourriez-vous nous parler un peu des besoins en infrastructures du Grand Nord en tant que groupe? Votre territoire est-il unique? Travaillez-vous avec d’autres territoires? Pouvez-vous donner une vue d’ensemble des besoins pour l’ensemble du Nord et des types de projets d’infrastructures nécessaires pour soutenir la souveraineté de l’Arctique?
PJA : Nous travaillons en étroite collaboration avec les autres territoires. Nous sommes des amis très chers, vraiment.
Nous sommes tous égaux autour de cette table. Mais je pense que l’on a négligé le Nord et ses défis dans le passé. Je pense que la population canadienne commence à comprendre le manque d’infrastructures, non seulement au Nunavut, mais dans l’ensemble des territoires.
La péréquation des investissements qui doit être effectuée est une chose dont, je pense, beaucoup de premiers ministres et de gens au Canada commencent à prendre note.
Je pense que l’on reconnaît qu’il faut commencer à dresser la liste des projets clés que l’on souhaite voir se réaliser. Je prendrai l’exemple de la route et du port de Grays Bay, où il pourrait s’agir d’infrastructures à double usage dont nous ne cessons de parler. C’est le mot à la mode à Ottawa. La Marine royale canadienne pourrait avoir accès au port, de même que les pêcheries et le secteur du tourisme. Nous venons de rencontrer le consul général des États-Unis, qui s’intéresse beaucoup à la défense de l’Amérique du Nord.
Nous devons penser à étendre nos atouts pour répondre aux besoins militaires, communautaires et économiques. Le Nunavut est riche en minéraux critiques; nous possédons 21 des 31 minéraux critiques identifiés. Il y a tant de richesses que nous pourrions exploiter en investissant correctement dans les infrastructures.