Ehren Cory : Comment les investissements en infrastructures peuvent-ils contribuer à relever les défis et à atteindre l’objectif de la carboneutralité d’ici 2050?
Toby Heaps : Les projets qui sont financés finissent par se concrétiser. Les investissements dans les infrastructures vertes sont la condition la plus fondamentale pour bâtir une économie verte. Pour parvenir à une économie à émissions quasi nulles, nous devons électrifier à peu près tout et finir la décarbonisation de notre réseau au cours des prochaines décennies. À l’heure actuelle, même si nous progressons plus rapidement que beaucoup de gens le croyaient possible, nous ne respectons pas nos propres engagements et nous ne profitons pas de la dynamique de l’économie mondiale, alors que l’expansion du secteur des énergies à faibles émissions de carbone prend de l’ampleur.
EC : Quel est le rôle de la Banque de l’infrastructure du Canada dans ce contexte? Comment le budget fédéral influencera-t-il la capacité de la BIC à faire une différence dans la lutte contre les changements climatiques?
TH : Selon le budget fédéral de 2022, l’insuffisance annuelle en matière d’investissements pour lutter contre les changements climatiques au Canada pourrait atteindre 115 milliards de dollars. Une partie de ce montant est attribuable à l’absence d’incitatifs économiques découlant de mauvaises politiques (lourdeurs administratives inutiles et échappatoires fiscales liées à la tarification du carbone dans lesquelles évoluent chaque jour d’énormes camions à bennes chargés de sables bitumineux), toutefois, une partie importante de cette insuffisance d’investissements climatiques est attribuable à des détails obscurs en matière de « plomberie » financière qui freinent l’acheminement de capitaux vers des projets pourtant rentables. C’est là que la Banque de l’infrastructure du Canada intervient. La BIC est comme le plombier dont nous avons besoin pour désengorger les tuyaux et faire fonctionner la pompe afin que tout puisse bien circuler.
Les investisseurs publics ont joué un rôle central dans l’édification du Canada depuis le tout début, qu’il s’agisse du chemin de fer, du réseau routier ou du réseau électrique, et nous avons besoin d’eux pour relever le défi historique que représentent les changements climatiques.
L’annonce récente du gouvernement fédéral d’augmenter les attributions de capitaux à long terme de la BIC à des projets d’énergie propre et d’infrastructures vertes à 20 milliards de dollars (10 milliards de dollars chacun) constitue un vote de confiance apprécié et bien mérité quant au rôle central de la BIC dans le déblocage des vastes sommes d’investissement nécessaires à la décarbonisation de notre économie.
EC :Selon vous, qu’est-ce qui doit changer en matière d’efforts pour lutter contre les changements climatiques?
TH :Je dirais que notre attitude et notre sentiment d’urgence doivent changer. La révolution, c’est maintenant, pas demain. Nous devons, au moins temporairement, augmenter les fonds publics consacrés aux infrastructures vertes essentielles afin de stimuler la machine, de réaliser des économies d’échelle et de démontrer que ces infrastructures rendent la vie plus confortable et plus abordable. Cette démarche ouvrira la voie à des investissements institutionnels, commerciaux et individuels qui permettront de mener à bien le travail.
Nous avons déclaré une urgence climatique, mais nous ne nous comportons pas comme s’il s’agissait d’une urgence. La réponse à la COVID nous a montré que nous sommes capables d’organiser de telles interventions d’urgence et, en fait, les sommes consacrées pour combattre le virus sont inférieures à celles qui seraient nécessaires pour mettre en place des mesures d’urgence efficaces face aux changements climatiques. Nous devons démontrer que les solutions produisent de nombreux avantages accessoires qui sont souvent plus appréciés par les gens que la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous savons ce qu’il faudrait faire, nous avons une idée de ce que cela coûterait, nous savons que nous pouvons nous le permettre et que le coût de l’inaction face aux changements climatiques sera beaucoup plus élevé que la lutte contre ce phénomène. Et nous savons que plus vite nous saisirons l’occasion d’augmenter les investissements dans le domaine du climat, plus grande sera notre part de l’énorme expansion de l’économie du carbone qui est maintenant bien entamée.