Mathias Cormann : En effet, la boîte à outils de l’OCDE en matière d’infrastructure souligne la nécessité de disposer de nouveaux outils de politique publique et de dépenses pour atteindre les objectifs climatiques de l’Accord de Paris. Il s’agit notamment d’exploiter de nouvelles sources de financement : les gouvernements ne peuvent pas financer seuls la transformation nécessaire et massive de nos infrastructures d’énergie et de transport. Les banques d’infrastructure et les investissements privés ont un rôle crucial à jouer pour combler les lacunes actuelles en matière d’investissements carboneutres et résilients au changement climatique.
Elles appuient aussi les objectifs des gouvernements dans le domaine des investissements durables, en aidant à mobiliser des capitaux privés, à harmoniser les objectifs de financement public et privé et à tirer parti de sources de financement internationales. Elles peuvent également contribuer à façonner l’inventaire des projets d’infrastructure, en veillant à ce que les projets individuels répondent à des besoins clairs tout en favorisant la transition durable. De plus, les banques d’infrastructure peuvent contribuer à l’amélioration des pratiques en matière de communication de l’information dans ce domaine en aidant à définir des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance clairs et à recueillir les données nécessaires pour mesurer la performance en matière de durabilité des actifs d’infrastructure.
EC : Quelles leçons le Canada peut-il tirer des autres pays quant à l’utilisation des infrastructures pour lutter contre les changements climatiques et avez-vous de bons exemples, à l’échelle mondiale, de la façon dont les projets d’autres banques d’infrastructure et de développement ont produit d’importants gains socio-économiques?
MC : Bien que les nouvelles infrastructures attirent souvent l’attention, étant donné qu’elles permettent d’établir des profils d’émissions à long terme, les pays examinent toutes les étapes du cycle de vie des infrastructures pour atteindre les objectifs de durabilité. Il faut notamment veiller à ce que les infrastructures existantes soient résilientes face aux changements climatiques et aux risques croissants de catastrophes naturelles.
Deuxièmement, notre travail démontre l’importance de faire participer tous les ordres de gouvernement à la planification et aux investissements en matière d’infrastructure durable. Après tout, 60 % des investissements publics dans l’infrastructure sont réalisés au niveau infranational.
Troisièmement, nous avons constaté que les gouvernements peuvent faire des progrès en matière d’investissements dans les infrastructures durables en clarifiant davantage leurs objectifs environnementaux et les plans grâce auxquels les investissements dans les infrastructures contribueront à la réalisation de ces objectifs. Par exemple, le « Plan Investir dans le Canada » comprend un volet de financement spécifique consacré aux investissements qui appuient la transition vers une économie axée sur la croissance propre dans les provinces et les territoires.
Enfin, il existe de nombreux exemples de pays qui accélèrent les mécanismes qui incitent et soutiennent les investissements privés dans les infrastructures vertes. Par exemple, le plan d’investissement du pacte vert pour l’Europe mobilisera au moins 1 000 millards d’euros d’investissements durables d’ici 2030 et fournira une garantie budgétaire de l’Union européenne afin que la Banque européenne d’investissement et ses partenaires puissent investir dans un plus grand nombre de projets, y compris des projets à plus haut risque. Les États-Unis lancent une banque d’investissement vert de 27 milliards de dollars américains, qui offre des subventions pour le déploiement de projets à faibles émissions ou à émissions nulles. En 2021, le Royaume-Uni a lancé sa banque de l’infrastructure, qui fournit 22 milliards de livres sterling en financement d’infrastructures et établit des partenariats avec le secteur privé et le gouvernement infranational pour financer les investissements verts.
Si les nouvelles banques d’infrastructure n’en sont encore qu’à leurs débuts, les banques existantes ont créé des gains socio-économiques au fil du temps. À titre d’exemple, les investissements de la Banque européenne d’investissement soutenus par le Fonds européen pour les investissements stratégiques du Plan Juncker, qui ont débuté en 2014, devraient avoir augmenté le produit intérieur brut de l’UE de 1,8 % et avoir créé 1,7 million d’emplois avant 2022.
EC :Quelles sont les autres banques de développement de l’infrastructure comme la BIC? Comment le modèle de la BIC a-t-il inspiré la création de véhicules d’investissement en infrastructure similaires au Royaume-Uni, aux États-Unis ou ailleurs?
MC : Comme au Canada, la plupart des pays de l’OCDE ont maintenant des institutions qui contribuent à attirer des investissements privés, à affecter des capitaux, à fournir une expertise technique, à accorder du crédit et à proposer des liquidités et des garanties. En plus des exemples des États-Unis et du Royaume-Uni que j’ai mentionnés plus tôt, il y a aujourd’hui au moins
28 banques d’infrastructure verte dans 12 pays de l’OCDE et d’autres pays. Les banques d’infrastructure verte utilisent des structures de transaction innovantes, des techniques de réduction des risques et de facilitation des transactions, ainsi qu’une expertise locale et du marché pour canaliser les investissements privés, y compris ceux des investisseurs institutionnels, vers des infrastructures nationales à faible émission de carbone et résilientes aux changements climatiques.
Alors que, par le passé, les banques d’infrastructure se concentraient souvent sur la préparation de projets, la valeur des partenariats public-privé et la recherche d’autres sources de financement externes, elles se sont récemment concentrées sur la durabilité et les considérations écologiques.
Le rapport de l’OCDE portant sur les dispositions institutionnelles relatives à la planification, au financement et à la mise en œuvre des infrastructures, montre que la BIC exerce toutes les fonctions les plus efficaces par rapport à des institutions similaires dans les pays de l’OCDE. Ces fonctions consistent notamment à explorer de nouvelles approches en matière de financement et d’exécution de projets, à fournir une assistance technique pour rendre les projets viables sur le plan commercial, à attirer des investissements de la part d’investisseurs privés et institutionnels et à proposer un financement et des investissements pour de nouveaux projets.
La BIC est la seule banque d’infrastructure que nous avons étudiée qui mobilise les parties prenantes pertinentes de tous les niveaux de gouvernement en matière de financement des infrastructures, ce qui constitue également une fonction fondée sur les meilleures pratiques. Elle constitue donc un exemple précieux que d’autres administrations peuvent prendre en considération lorsqu’elles conçoivent les cadres stratégiques d’une banque d’infrastructure.